Les propriétaires
occupants pourraient payer une taxe
Les
propriétaires immobiliers français ne sont décidément pas à la fête en cette
rentrée 2013. Après le projet de loi Alur qui prévoit le blocage
des loyers et la création d'une garantie
contre les impayés pesant
surtout sur les bailleurs, un nouveau rapport, remis au premier ministre
Jean-Marc Ayrault, s'attaque cette fois-ci aux propriétaires habitants leur logement.
Rédigé par le Conseil d'analyse économique (CAE), organisme rattaché à
Matignon, le document propose la création d'une taxe assise sur les loyers
implicites, c'est-à-dire sur le montant des loyers que les propriétaires qui
occupent leur logement percevraient s'ils le proposaient à la location. En juin
dernier, un autre rapport remis au même Jean-Marc Ayrault par le Haut conseil
du financement de la protection sociale avait aussi les loyers implicites en
ligne de mire. Et en mars dernier, l'OCDE défendait la même idée.
Bref, l'idée n'est pas nouvelle. En 2011, l'économiste Thomas Piketty l'a
développé dans son livre «Pour une révolution fiscale» et elle a même été
appliquée en France entre 1914 et 1964, date à laquelle Valéry Giscard
D'Estaing a décidé de l'abroger pour relancer l'accession à la propriété des
Français.
Rééquilibrage
C'est
justement ce favoritisme fiscal que le Conseil d'analyse économique (CAE)
entend corriger. Pour ses économistes, les propriétaires habitants bénéficient
d'un régime bien plus intéressant que les locataires, et il s'agit de rétablir
l'équilibre. «Choisir d'acquérir son logement ou d'habiter en location est un
choix personnel. L'État n'a pas à intervenir dans ce choix par des incitations
fiscales», affirme Agnès Bénassy-Quéré, membre du CAE. Il s'agit donc d'une
question de principe et non d'une volonté d'«assassiner les propriétaires».
L'économiste souligne d'ailleurs que le déséquilibre existe aussi entre les
propriétaires eux-mêmes. «Des personnes propriétaires de leur logement peuvent
être obligées de déménager suite à une mutation. S'ils décident, en attendant,
de louer leur logement ils vont être lourdement taxés sur les loyers qu'ils
perçoivent. Et s'ils décident finalement de vendre ce logement, la plus value
éventuelle suivra le régime des résidences secondaires, bien moins intéressant
que celui des résidences principales», explique-t-elle. En période de pénurie
de logement, Agnès Bénassy-Quéré souligne qu'il serait par ailleurs judicieux
d'alléger l'imposition des loyers pour motiver les bailleurs. En résumé: dans
un pays où la pression fiscale est élevée, le CAE préconise de revoir les
priorités. Cette offensive pour un rééquilibrage n'est évidemment pas du goût
de tous. Même s'il ne s'agit pour l'heure que d'un énième rapport, la nouvelle
taxe est belle et bien perçue comme une attaque à l'encontre des propriétaires.
Double imposition
Agnès
Verdier, directrice de l'iFRAP, fondation
(d'obédience libérale) qui analyse les politiques publiques, a dénoncé chaque
tentative de création de cette taxe. «Les propriétaires sont déjà imposés sur
les loyers fictifs, cela s'appelle l'ISF et la taxe
foncière», s'insurge-t-elle critiquant la volonté des
économistes de vouloir s'approprier l'épargne des contribuables. «Le vrai
problème c'est que les économistes cherchent à tout prix à renflouer les
caisses de l'État. Pour eux, l'immobilier qui a beaucoup augmenté ces dernières
années est une bonne cible», dénonce-t-elle. Agnès Verdier estime aussi que la
taxe équivaudrait à une expropriation dans la mesure où elle réduirait
mécaniquement, et instantanément, la valeur du bien. Pour elle, le mécanisme
n'est pas plus acceptable parce que le projet de taxe ne vise que les
propriétaires dont le crédit est entièrement remboursé. «Un trentenaire qui
achète aujourd'hui va rembourser son crédit pendant 25 ou 30 ans pour avoir
terminé au moment de sa retraite où ses revenus seront moins élevés. C'est
impensable qu'il soit alors obligé de payer une taxe sur son bien, ce serait
pénaliser les retraités». D'ailleurs Agnès Verdier ne croit pas que la proposition
puisse voir le jour. Pour que les propriétaires français l'acceptent, il
faudrait que parallèlement le système de la taxe foncière et de l'ISF soit entièrement revu. «Une assiette plus large et un
taux réduit», propose-t-elle. Mais au-delà de l‘incompréhension de l'opinion,
Agnès Verdier estime qu'il y aurait un problème de constitutionnalité et
d'égalité devant l'impôt. «Ajouter une taxe à l'ISF serait créer une double
imposition», conclut-elle.